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Le portrait : Marjorie

Une femme déambulant dans un supermarché avec une mosaïque bigarrée peinte sur le crâne, c’est étonnant. Une inconnue s’approchant dans la rue pour vous souffler combien elle vous trouve belle, c’est étonnant. Rencontrer son animal totem au cours d’un voyage au tambour, c’est étonnant. S’accroupir sans pouvoir se relever, c’est étonnant. Se découvrir un visage sans cils et sans sourcils, c’est étonnant. Le cancer, c’est étonnant. Pleurer de rire avec des femmes que l’on découvre, c’est étonnant. Le plumage de la spatule rosée, c’est étonnant. 

Participer à une retraite bouddhiste au sud du Mans, c’est vraiment très étonnant.

Marjorie s’apprête à célébrer ses cinquante premières années de vie, dont les deux dernières furent pour le moins étonnantes.

L’existence de Marjorie fut jusque-là largement dédiée aux autres.
Un long parcours d’éducatrice spécialisée qui lui offrit d’accompagner des familles en grande précarité, des mineurs et des jeunes adultes en difficulté, des demandeurs d’asile et des femmes victimes de violence. Une profession humainement intense, émotionnellement vorace.

Si la vie est un tableau, alors nous pouvons dire que les couleurs de l’œuvre de Marjorie commencèrent à s’estomper il y a quelques années, à se ternir.
Sous le craquelage d’usure se vit affleurer l’esquisse au crayon, des lignes de principe tirées dès le plus jeune âge : tout garder pour soi, se débrouiller seule, être efficace. Des lignes qui cadrent autant qu’elles limitent.
Qui étouffent les émotions. Avec le temps, elles sont devenues des lignes de fuite en avant, vers l’infinie prolongation d’un même schéma.